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WAN © 2007

TÉMOIGNAGES

Récit n° 3 recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.

Le récit de Hagop Manoug Krikorian
Né en 1903 à Sassoun, Dalvorig

Notre pays était un pays montagneux, il y avait beaucoup de monts et de vallées. Nous gardions des bêtes. Notre village était un petit village. Nous payions des impôts à l'État. Nous donnions nos meilleurs morceaux au Turc. Le village était en plaine. Il y avait beaucoup de sources.
Nous habitions chez notre père Manoug, avec notre oncle Garo et sa famille. En tout, nous étions 20-25 personnes.
Le village de Dalvorig faisait partie d'une trentaine de villages, qui étaient tous arméniens. Tous les villages n'avaient pas d'école. Moi je n'ai pas été à l'école. Je gardais les bêtes, les moutons. Chaque village avait son église. On venait en pèlerinage dans notre village. A Pâques nous teignions les œufs, nous les cognions, les rouges contre les verts Nous fêtions Vartavar, nous faisions des jeux.
Nous faisions des feux dans les champs. Certains allaient à Alep en pèlerinage. Le chef du village était Abrène. Il faisait des réunions avec les fédaïs. Les Turcs emmenaient nos fils dans l'armée turque. Ils les massacraient.
En 1915, les Arméniens se sont battus contre les Turcs, les fédaïs sont venus se battre. Les troupes turques sont venues nous massacrer. Nous nous sommes enfuis dans les montagnes et les forêts. Les Turcs nous ont tous tués. De notre famille, moi seul ai pu être sauvé. Ils les ont tous tués devant mes yeux. Nous nous sommes enfuis. Nous sommes restés dans un village turc en ruines. Chez un Turc je gardais les moutons. Je coupais les broussailles, je les apportais à mon maître.
Un jour on a appris que des volontaires arméniens arrivaient. En 1917, des gens de la Croix Rouge sont venus, ils nous ont trouvés, ils nous ont emmenés. Ils nous ont amenés à Moush, puis au village de Khenous khozlou. De notre village, nous ne fûmes que deux à être sauvés. Les Arméniens de ce village nous ont cachés. Avec les habitants de Khenous, nous avons pris le chemin de l'émigration; cela a duré des mois jusqu'à notre arrivée à Nakhitchévan, puis Khoy, puis nous sommes arrivés du côté de Kiavara, puis Taralakiaz, ensuite nous sommes arrivés dans le village d'Achnag. A ce moment-là déjà les Turcs étaient chassés. Déjà les Soviets arrivaient.
En 1928, je me suis marié.. J'ai eu huit enfants:
Moushégh, Sirouch, Astrig, Anahid, Haygouch, Bédros, Dikran, Loussia.
Puis j'ai été à la guerre. Je suis arrivé en Hongrie. La guerre a pris fin. J'ai été démobilisé.
"Je suis un vaillant fils de Dalvorig,
Je ne m'incline pas devant le Turc".

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

 Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.

Récit de Hratch Yéghiazar Hovannissian

Né en 1915, à Mouch, Village de Havadorig

 

Nos ancêtres étaient venus de Zeitoun. Ils s'étaient installés dans la région de Mouch, dans le village de Havadorig. Ils avaient eu souvent des conflits avec les Turcs.

Métoug était l'un de nos anciens. Il était venu de Zeitoun à Sassoun, dans le village d'Aghpi.

Les Sassountsis avaient une coutume, tout le monde devait danser. Métoug, qui était blessé et infirme, commence à danser. Tout le monde s'étonne. Métoug dit: "Mariez-moi".

Métoug se marie. Il a eu 4 enfants, des fils.

Les enfants grandissent, et deviennent de beaux et bons enfants. Nos anciens racontaient que Métoug avaient envoyé l'un de ses fils dans la province de Mouch, au village de Pétar. Un autre de ses fils à Havadorig. Tous deux sont restés à Aghpi.

Métoug est devenu riche, il a fait construire une église. Le président du Kolkhoze de Havadorig racontait qu'ils allaient dans cette église, où sur l'autel était sculptée la main de Métoug. On l'appelait Seigneur rassembleur. On dit que cette église existe jusqu'à ce jour.

A Aghpi sont restés les descendants de Métoug. Ils étaient riches.

A Havadorig, mon grand-père, Kréyan Hovannès avait eu 4 fils. En 1915, dans notre maison vivaient 32 personnes. Les Kurdes en ont enfermé 30 dans une grange et ont mis le feu. Seules deux personnes y ont échappé: Yéghiazar et Gajé, le frère et la sœur Khatchadrian.

Mon père s'est marié dans la ville de Mouch. Au moment de l'exode, mon petit frère avait 40 jours. Sur le chemin, ils étaient avec Pétara Akho et Manoug, du groupe de Kévork Tchavouch. Ils étaient tous fatigués; souffrants, l'enfant qu'on portait criait. Les déportés ont dit: "Les Turcs vont nous pourchasser s'ils entendent les cris de cet enfant". Ils ont obligé la mère à abandonner l'enfant et à se sauver avec eux. Ma mère, obligée, dépose l'enfant au bord du chemin. Peu après, ma grand'mère passe dans un chariot, et voit de loin le bébé de son enfant, elle dit au charretier: Krko, est-ce que ce n'est pas le bébé de notre Tamm ? elle fait arrêter le chariot. Krko va chercher le bébé, ma grand'mère dit: C'est bien notre bébé !.

Quand ils sont délivrés, et arrivés en lieu sûr, Pétara Akho rencontre Krko, il l'embrasse et lui dit: cet enfant, tu nous l'a redonné !

Auparavant, l'enfant s'appelait Haroutioun , mais Akho a dit: cet enfant devra s'appeler Farman, c'est-à-dire "ordre" puisque nous avons reçu l'ordre de partir et d'aller ailleurs. Plus tard Farman, pendant la deuxième guerre mondiale a été mobilisé dans l'armée, et a été sacrifié.

Quant à notre déportation, le Général Antranik avait appris que les Turcs avaient attaqué le Pont de Tchoulfa, il ne restait plus que nous pour le défendre. Grâce à l'aide immédiate d'Antranik et d'Akho, nous avons pu passer le pont et être sauvés. Nous sommes allés nous installer dans les environs de Talin. Il y avait là 6 maisons de Turcs et 6 maisons d'Arméniens. Les Arméniens ont démoli les maisons des Turcs et se sont installés dans le quartier du haut, très fertile qu'ils ont appelé "Pazmapért". Plus tard, les Turcs leur ont rapporté les enfants arméniens qui étaient restés chez eux , moyennant paiement. Ma sœur a versé 1 Livre d'or et a racheté son enfant.

Mon père est resté illettré, il ne savait signer que son nom. En 1937, à l'âge de 50 ans, il a été exilé. Nous sommes devenus des misérables du Goulag.

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

 Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.

Le récit de Herminé Derdérian

Née en septembre 1912 à Yozgat

 

Toute ma famille a été tuée au couteau.

Ma belle-mère pleurait trois fois par jour, car ses fils avaient été tués à coups de couteaux. Ma belle-mère était de Césarée, elle s'était mariée à Yozgat. Les Turcs lui avaient dit:

"Donne-nous ce garçon d'un an et demi. Elle avait dit: je ne le donne pas. Elle ne l'avait pas donné. Elle tremblait pour cet enfant: elle disait : "je ne vis que pour toi".

Ma belle-mère était très soigneuse. Tous les vendredis, nous faisions le ménage à fond

C'était une bonne mère. Un jour elle me dit:

"Herminé, ne t'épuise pas, tu es enceinte.

Une nuit j'ai vu la Sainte Vierge en rêve, elle me dit: Herminé, Dieu va te donner un petit saint Hagopig, un garçon du nom de Hagop du Christ. Et j'ai vu aussi briller trois étoiles.

Cela signifie que la naissance va être difficile, mais elle réussira. Mon père martyr n'a pas eu de tombe, et j'allais avoir un garçon qui porte son nom. J'ai fait un vœu, j'ai dit: " Mère de Dieu, Christ et saint Hagop

(Saint Jacques) En échange de nos martyrs, mon père, mon oncle paternel et mon oncle maternel, Dieu va me donner un Hagop".

La Sainte Vierge m'a dit: si Dieu n'exauce pas ton vœu, lequel exaucera-t-il ? J'ai raconté aussi mon rêve à ma mère.

Le jour de Noël, dans les douleurs, et avec l'aide de la Mère de Dieu, j'ai été délivrée.

Le docteur est venu, il a dit: ce sera un très bon garçon.

Mon enfant a grandi. Il était enfant de chœur à l'église.

Je me rappelle mon enfance. J'avais 4 ou 5 ans. Tous les hommes et garçons de ma famille ont été emmenés à KESKIN , près d'Ankara. Ils ont voulu tuer mon père, pour être maîtres de ma mère. Ma mère était la belle fille du prêtre. Le prêtre était très pieux , on disait que pendant la messe, ses pieds se soulevaient de terre. Il s'appelait Krikor Der-Krikorian et il a été enterré à l'église Marténi de Keskin. Après sa mort, on dit qu'une lumière a brillé sur son tombeau pendant trois jours. La belle-fille du Papaz (prêtre) était riche et très belle, couverte de bijoux d'or et d'argent. Un caporal turc est venu dans notre village et a dit à ma mère: ô belle-fille du prêtre, tu es malheureuse, viens avec moi, je vais te libérer.

Ma mère ne voulait pas partir. Elle dit: "Je ne veux ni toi, ni ton or". Elle refuse.

Ce caporal envoie 11 voleurs, cambrioler tous nos biens. Ils tuent sur les genoux de mon frère ses trois jeunes enfants. Ensuite ils trouvent l'or et l'argent, ils prennent tout et s'en vont. Dans quelle douleur et quels pleurs nous sommes descendus en ville ! Ma mère allait à pied, portant ma petite sœur de 40 jours. Nous sommes restés un an dans un village appelé "Saghtchal". Ma grand'mère, Yérétsguine (l'épouse du prêtre) priait. Nous avons été délivrés de cet endroit. Nous sommes sortis, et nous sommes rentrés chez nous. Ma mère pleurait sans cesse. Elle me racontait ce qu'elle avait vu, et pleurait, pleurait. J'étais petite, mais j'avais du chagrin en voyant l'état de maman. Je me demandais ce que je pourrais bien faire; soudain j'ai eu une idée, je me suis dit: puisqu'il y a un Dieu, je vais prier pour que maman arrête de pleurer et que Dieu nous protège. Peu après, l'église de l'école maternelle a été ouverte. Ma maîtresse, appelée Kioulli, était une jolie jeune fille. Elle m'a dit, "je vais t'apprendre des prières, mais je n'ai pas de livre, ma mère au moment des massacres, dans sa frayeur, a tout brûlé." A l'école, nous étions tous des orphelins, nous n'avions pas de livre, mais grâce à la maîtresse, qui connaissait par cœur "havadkov khostevanim yév yerguir bakanim" j'ai appris ces prières par cœur.

Une salle pleine d'orphelins. Un jour, je suis sortie de l'école heureuse, j'avais appris des prières. Nous orphelins, sans père, sans argent, sans parentèle, j'ai dit: "J'ai appris une prière !"

Ma mère avait trouvé un peu de boulghour, elle l'avait fait cuire (pilaf) dans un cocotte rose. Mon frère et ma sœur étaient petits, ma mère avait 22 ans. J'ai dit: "Ce plat ne peut pas être mangé sans prière". Mon frère et ma sœur n'ont pas bronché, ils n'ont pas dit: j'ai faim. Je me suis tournée vers le mur, ma mère avait étalé une carpette par terre, je me suis mise à genoux, j'ai commencé ma prière:

"Havado khosdovanim" (avec foi je m'engage) . Ensuite nous avons mangé ce pilaf. Puis j'ai prié : "Park i partsouns" (Gloire à Dieu) et "Der Voghormia" (Dieu aie pitié) Je prie la Mère de Dieu de nous aider. Puisqu'il n'y a ni à manger, ni père, ni frère. Maintenant j'oublie tout, mais les prières de mon enfance, je m'en souviens.

Dieu nous a aidés, mais tous sont morts. Ils sont morts jeunes, jeunes !

Je dis aux autres: "Vous, vous commémorez seulement le 24 avril, mais eux sont en deuil 365 jours par an. Ils sont morts pour vous. Pourquoi ne parlez-vous pas arménien, pourquoi n'êtes-vous pas autour de votre église ?"

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

 

     Récit recueilli par Dzovinar Melkonian                       

Le récit de Coarig Sinanian

"Je suis née à Konia en 1899 ou 1900. Je me nomme Coarig Sinanian. Nous étions trois enfants. Ma soeur aînée 18 ans, moi 16 ans et notre petit frère Lévon 12 ans.

Mes parents tissaient des tapis à la maison pour le compte d'un commanditaire. Ce terrible jour les soldats ont fait irruption dans notre maison et nous ont brutalement fait sortir. Leurs visages étaient barbouillés de sang, du sang de leurs victimes, tels des trophées de leurs immondes besognes. Ils ont tué mes parents qui tombèrent sur mon petit frère et moi. Nous disparûmes sous leurs corps. Et je vis avec épouvante celui de ma soeur aînée tranchée en deux, à la taille . Lorsqu'ils s'éloignèrent, leurs macabres besognes accomplies, mon frère et moi émergeâmes de dessous le corps de nos parents.

Nous avons erré par les rues et, quand nous aperçûmes la cohorte des Arméniens qui fuyaient en emportant ce qu'ils pouvaient, nous nous joignîmes à eux. Ce que fut notre existence sur ce chemin de l'exil, est impossible à décrire. La faim, la soif, l'effroi, une inhumaine fatigue, furent notre quotidien. La constitution de mon petit frère n'y résista pas et il mourut.

Des images horribles me hantaient : j'avais vu ces barbares s'emparer de très petits enfants et les trancher comme des volailles puis suspendre leurs membres menus avec des "mandal" à une corde à linge !

Je fus "sauvée" de ce cauchemar par une tribu nomade arabe qui se déplaçait à dos de chameau. Le maître de la tribu me prit pour épouse et me marqua comme telle avec des tatouages sur le visage que je portai, toute ma vie, avec honte.

Un jour pourtant, des membres de la Croix Rouge arménienne qui écumaient tous les lieux à la recherche d'orphelins, m'emmenèrent avec eux jusqu'à un orphelinat en Syrie. C'est là que des bourgeois arméniens venant de Bulgarie me prirent pour servante ; C'est ainsi que je les accompagnai lors de leur retour dans leur pays.

Une autre servante qui venait laver le linge de la maisonnée me vit et me présenta son fils, Avédis, père d'une petite fille de 5 ans. Je l'épousai et un an plus tard, nous partîmes pour la France où nos cinq enfants virent le jour. "

Aujourd'hui Coarig n' est plus. En épousant Avédis, elle avait aussi pris en charge l'avenir d'une petite fille en quête de maman : ma mère, qui recueillit les douloureux souvenirs de Coarig dont elle m'a fait le récit.

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Le récit de Peniamine Pislamian

 

  Il est né à Moussa Lér en 1903

Il m'a dit qu'un jour un Arabe lui a raconté sa vie.

Il a dit, je vais t'avouer la vérité; moi j'étais soldat dans l'armée turque. On nous a envoyé au Musa Dagh, dit Moussa Lér, pour que nous exterminions les  Arméniens qui étaient là-haut dans la montagne. Nous avons encerclé la montagne sur les 3 côtés. Soudain nous avons vu en face de nous un escalier, descendu du ciel. Sur l'escalier, il y avait deux hommes; le sabre à la. main. Les sabres étaient dégoulinants de sang.

En voyant cela, nous avons eu peur et nous sommes retournés, nous nous sommes sauvés.

J'ai eu tellement peur que j'ai été jusque Homs et puis arrivé à Damas. "

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Karoun Andonian

Née en 1910 – Moussa Lér

J'avais 5 ans quand nous avons été déportés. J'étais petite, mais je me rappelle tout ce que nous avons subi.

Nous avons vécu pendant 4 ans dans les "tchôl" (déserts) arabes. J'avais déjà oublié la langue arménienne, je disais en arabe: "Allah adigoun, khelé aléyna, chekhve khepez adina". C'est-à-dire: un peu de pain, pour l'amour de Dieu, ayez pitié".

Ma mère était servante chez les Arabes. Moi j'étais soi-disant en train de jouer sous la fenêtre de cette maison, mais j'attendais que maman qui pétrissait la pâte m'en lance une boulette en cachette par la fenêtre. Je la mangeais toute crue, car le pain cuit était calculé tout juste, elle ne pouvait pas m'en donner."

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Sirvart Kotchalian

née en 1906 à Peylan.

Quand nous sommes revenus de Tér Tchor et que nous vivions dans notre maison, les Turcs de Zeitoun ont envahi notre village Atekh de Peylan. Nos Arméniens se sont réunis et ont décidé de résister.

La France aussi nous soutenait. Moi j'avais 9 ou 10 ans. On faisait cuire deux "vétro" (en russe: seaux) de pilaf, on me les donnait à porter, ainsi qu'un sac de pain sur le dos; je ne savais pas ce qu'était la peur, je portais à manger aux fédaïs.

  • Fillette, si tu vois un mouchoir blanc au bout d'une longue perche, c'est là que tu devras venir apporter ton chargement.

Le matin, c'était un endroit, à midi un autre endroit, le soir un autre endroit où je devais déposer mon fardeau. Leur nourriture était à mon cou.

La population était rassemblée dans l'église.

Tous les enfants aussi, tout le monde. Il y avait une femme –tordioltsi – qui s'appelait Dikranouhie, son fusil à la main, elle s'est battue pendant trois jours dans l'église, avec son arme elle empêchait les Turcs d'entrer.

Je m'en souviens.

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Mariam Karatchian

Née en 1903 à Atiyaman

"J'étais petite quand les massacres ont commencé. Tout d'abord, ils ont ramassé les armes des Arméniens. Ils ont envoyé les jeunes dans l'armée turque, et là-bas ils les ont tués. Mon oncle était secrétaire de Talaat, il était leur homme, mais ils l'ont tué. Ma mère est allée avec mon grand-père, pour qu'ils ramènent au moins le cadavre et qu'ils l'enterrent, mais quand mon grand-père a vu le corps de son fils assassiné, il ne l'a pas supporté, il est mort sur le coup. Les soldats turcs voyant cela se sont mis à rire; ils ont dit: "Quelle bonne chose, nous avons économisé une balle".

Ma mère a laissé les corps là, étendus, et s'est sauvée aussitôt. Elle est arrivée à la maison en pleurant et en gémissant. Le jour même, à côté de notre maison en pierre, un obus a éclaté. Mon père est mort. Mon frère, âgé de dix ans, était à côté de lui. En voyant cela, son corps a été immédiatement couvert de cloques. Il est mort lui aussi, en un jour.

Nous sommes restés, maman, mon petit frère de deux ans, et moi.. On nous a emmenés de force à Souroudj. Il n'y avait là ni maison, ni pain, ni eau. Nous avions faim et soif. Les gens avaient tellement faim, qu'ils attendaient que le cheval décharge son crottin, dans lequel ils ramassaient les grains d'avoine pour les manger. Ils mangeaient même du chien et du chat. Je me rappelle, ils ont vu un âne mort, ils se sont précipités, l'ont dépecé et se sont mis à manger les morceaux tout crus.

Ma mère s'est vue obligée de nous laisser sous un arbre. Elle est partie mendier du pain, pour nous l'apporter. Pendant ce temps, un gendarme turc est venu, il a couché mon petit frère face contre terre, il lui a mis une grosse pierre sur le corps, il est monté dessus, et il l'a tellement écrasé, tellement écrasé, que les intestins du pauvre enfant sont sortis de son ventre; il est mort.

Une femme kurde passait par là, elle a vu, elle a eu pitié, elle a dit: "cette petite fille aussi va être tuée comme ça", elle m'a portée et m'a emmenée…

Quand j'ai ouvert les yeux, j'ai vu que j'étais dans une tente noire. Ils m'ont cachée là. Comme beaucoup d'autres enfants, j'avais été jetée au feu, ma jambe était brûlée, il y avait du pus qui sortait. On m'a mis un baume . J'ai été guérie. J'ai été bien traitée. Puis, quand les Américains sont venus chercher les orphelins arméniens, ils m'ont emmenée à l'orphelinat d'Alep.

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Hagop Papazian

Né en 1891, originaire de Sivrihissar; promu de l'Université de médecine d'Istanbul, et ayant servi dans l'armée turque comme médecin major, après avoir vu toutes ces cruautés incroyables et les ayant analysées en détail:

"Malheureusement, aucun des états civilisés ne s'est comporté honnêtement…Dès lors, volontairement ou involontairement, ils ont encouragé les Turcs,…qui ont fait impitoyablement subir aux centaines de milliers de gens innocents, désarmés et sans défense de l'Arménie Occidentale, petits ou grands, des supplices inouïs dans l'histoire de l'humanité, les ont fait mourir dans les tortures, les ont emprisonnés, enlevés, convertis de force à l'islam, égorgés, sabrés, pendus, certains la tête en bas, les laissant mourir dans les souffrances. Ils ont enfermé des centaines de gens dans les caves et les églises, les gardant là sans pain ni eau pendant de nombreux jours, puis les arrosant de pétrole et les brûlant vifs. Ils ont noyé d'innombrables victimes dans l'Euphrate. Ils ont tué les petits enfants en les enterrant jusqu'au cou, vivants, dans le sable au bord des routes de la déportation et les laissant là exprès pour que les exilés qui passaient les voient, soient remplis d'horreur et de douleur. Sur les routes, ils fendaient le ventre des femmes enceintes avec leur baïonnette, ils violaient les petites filles impubères, ils enlevaient les femmes et les envoyaient dans des harems comme odalisques, ils contraignaient les enfants et les adultes à se convertir et à ne parler que le turc… Le peuple arménien était neutralisé et mis dans une situation tragique. Les Arméniens ont perdu leur patrie historique. Des centaines de milliers d'Arméniens ont été martyrisés sans pitié. Et tout cela s'est passé sous les yeux de l'humanité civilisée, à leur su et leur complaisante indifférence. En soignant leurs futurs intérêts, les grandes puissances se sont réservé le rôle de Ponce Pilate, volontairement ou involontairement, elles ont permis aux loups-garous nommés Turcs de déchirer et de dévorer des centaines de milliers d'Arméniens désarmés et sans défense. Elles ont encouragé les Turcs, se faisant ainsi complices du génocide perpétré contre le peuple arménien".

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Sirvart Antréassian

Née en 1908 à Adabazar, on nous a emmené à pied d'Adabazar à Afyon-Karahissar. Ils nous ont dit: "Kalken ! Tchekhen!" (Marchez – levez-vous !) En deux jours nous sommes arrivés à Konya. Là-bas, les Arméniens avaient fermé leurs tentes. Nous sommes descendus. Nous sommes entrés en ville. Moi, ma mère et ma tante étions ensemble. Mon père était soldat dans l'armée turque. Il avait écrit à mon oncle, qui était le Docteur Tiriakian : "délivre les nôtres !".

Mon oncle a appris que nous étions à Konya.

Le vendredi, où Enver Pacha allait à la mosquée, mon oncle, qui était un médecin distingué dans l'armée turque, salue les soldats, se met à genoux devant Enver et dit:

"Effendim, je suis venu te supplier. Moi je n'ai ni père ni mère. J'ai deux sœurs qui sont déportées, ordonne qu'elles soient délivrées."

Enver pacha avait beaucoup de respect pour mon oncle. Il donne l'ordre que la famille du docteur Tiriakian retourne chez elle. Le Vali était arménien. Les policiers viennent, ils obéissent aux ordres d'Enver. Le dimanche, ils nous ont dit: "Vous allez repartir". Ils nous ont mis dans le train pour Adabazar. Ensuite, les troupes de Kémal ont emmené mon oncle comme soldat de Boursa à Eski-Shéhir.

Quant à nous, en 1921, nous nous sommes sauvés d'Adabazar à Mitilli, en face d'Izmir.

Là j'ai appris la couture. C'était une ville riche, mais il n'y avait pas de travail. Ce furent d'abord les Grecs qui furent délivrés, ensuite les Arméniens. Nous sommes venus en Macédoine en bateau. Et de là en Arménie.

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit n°14 recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                    

Récit de

Khatchadour Haroutioun Ghougassian

 

Né en 1898 à Bitlis, Havarik. Ma mère s'appelait Noupar, mon père Haroutioun, ma grand'mère Koto,, mes frères:

Markar, Miron, Mgrditch. Nous vivions tous dans une seule maison. Dans notre village, il y avait de 100 à 300 familles arméniennes, et aussi de nombreux Turcs, et Arabes.

Nous semions du blé, de l'orge. Pour la terre, nous étions obligés de donner une taxe de 16 "pout"(?) de blé . Moi, depuis l'âge de 15 ans, je travaillais avec mon père.

Dans notre village, il y avait une église, appelée Sourp Astvadzadzine (Ste Mère de Dieu).  Il n'y avait pas d'école au village.

Pour l'eau, nous avions 5 jours pour nous, et 5 jours pour les Turcs. Nous allions chercher l'eau à boire à des sources très fraîches.

Nous avions des moutons, des chèvres, des vaches, des bœufs. Nous avions, nous, de 100 à 150 moutons dans notre ferme. Mon père allait à Bitlis au marché. A chacun, il achetait un troupeau et le ramenait.

Et puis les massacres ont commencé. Il y avait des fédaïs, ils se sont bien battus, mais ils ont été massacrés. Moi j'étais dans le groupe d'Antranig. Nous avions entre les mains des armes allemandes. Antranig n'était pas avec Tro. Antranig voulait passer la frontière, mais on ne l'a pas laissé. Les troupes turques sont arrivées. Nous avons été vaincus.

 Nous sommes rentrés, il y avait plein de Kurdes dans nos maisons, nous nous sommes battus pour les mettre dehors. Nous avons repris nos maisons, nous avons recommencé à vivre.

Pendant la guerre, j'ai été mobilisé dans l'armée soviétique. Je me suis battu sur les fronts de Gori, Sotchi, Bakou.

Maintenant je vis avec mes trois fils.

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit  recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                    

Récit de Nevart Chirinian

 

Née en 1909 à Yévtoguia, "avant les massacres nous habitions à Tokat. Nous étions très riches, nous avions de tout. D'abord ils ont emmenés les hommes.

Ils ne les ont pas ramenés. Nous avons appris qu'ils les avaient tous tués.

Moi, j'avais cinq – six ans, quand ils nous ont aussi déportés. Par les montagnes, les collines, on nous a fait aller à pied, j'étais très fatiguée. Nous sommes passés par Kourkouz, Malatia, Piliétchig, nous sommes arrivés jusque Djarablouz. Puis nous sommes arrivés à Alep. Là, les deux enfants de mon oncle sont morts. On nous avait dépouillé de tout. En 1918, après l'armistice, nous sommes venus ici à Constantinople, j'avais déjà 9 ans.

Ici aussi, nous avons eu beaucoup de misères.Je me suis mariée avec Hrant, un Arménien de Samsoun.

Peu à peu, tout a changé. Aujourd'hui, grâce à Dieu, nous vivons tranquilles.

Mais ce qui s'est passé n'a pas disparu de mon esprit, j'y pense tout le temps.

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

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